Afin de rendre service à un proche, j’ai accepté de prêter mon nom et d’apparaître en qualité d’administrateur d’une société anonyme. Je n’ai exercé aucune activité au sein de celle-ci et je ne suis absolument pas au courant de ce qu’il s’y passait. Qu’est-ce que je risque?

Il n’est pas anodin qu’une personne désignée comme administratrice d’une société anonyme n’y exerce en réalité aucune activité ou ne fait que suivre les ordres d’un tiers sans avoir de pouvoir de décision. Cette personne est généralement considérée comme « un homme de paille ». L’on peut en effet accepter de prêter son nom pour rendre service à un proche, ou uniquement de manière temporaire, en pensant que notre responsabilité ne sera jamais engagée étant donné qu’en réalité, l’on ne fait rien de mal.  Il est toutefois important de comprendre les obligations en lien avec ce rôle et ce que l’on risque si elles ne sont pas respectées.

Etre administrateur d’une société anonyme

La fonction d’administrateur d’une société anonyme n’est pas dénuée de devoirs. Le Code des obligations prévoit aux articles 716ss diverses tâches qui incombent à l’administrateur dans le cadre de l’exercice de sa fonction, certaines étant même intransmissibles et inaliénables. Il s’agit par exemple de fixer l’organisation de la société, d’exercer la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion et d’exercer la haute direction de celle-ci. Hormis ces tâches spécifiques, l’administrateur est tenu d’un devoir général de diligence et de fidélité à l’égard de la société (art. 717 CO), pour lequel il doit déployer toute la diligence nécessaire dans l’exercice de ses attributions. Or, le concept même de l’homme de paille veut qu’il n’exerce aucune tâche au sein de la société et ne prenne aucune décision. Malheureusement, cela ne veut toutefois pas dire que sa responsabilité ne sera pas engagée dans l’éventualité de la survenance d’un dommage.

La responsabilité encourue par l’homme de paille

Même si l’administrateur homme de paille parvient à prouver qu’il n’a en aucun cas participé à la commission d’un acte préjudiciable ayant causé un dommage et qu’il n’avait pas les connaissances pour prévenir la survenance d’un tel dommage, la jurisprudence n’admet pas une absence de responsabilité à son égard. En effet, comme exposé ci-dessus, l’administrateur est lié par un devoir général de diligence qui l’oblige à fournir tous les efforts que l’on peut attendre de lui dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. A cet effet, le Tribunal fédéral considère que l’homme de paille viole son devoir de diligence dès le moment où il accepte d’être administrateur, étant donné qu’il est conscient qu’il ne sera pas en mesure d’effectuer, ou qu’il n’effectuera simplement pas, les tâches attribuées à son rôle.

L’homme de paille ne pourra donc pas s’exonérer de toute responsabilité pour les actes dommageables commis par des tiers dans le cadre de la société anonyme, dès lors qu’il était tenu de les empêcher ou qu’il était tout simplement tenu de ne pas accepter le mandat d’administrateur.

Deux exemples concrets

Afin d’illustrer cette problématique, voici deux exemples tirés de la jurisprudence.

Dans le premier exemple, le Tribunal fédéral a admis la responsabilité de l’administrateur d’une société qui avait confirmé l’octroi d’un pouvoir de signature individuel sur le compte bancaire de la société à l’actionnaire unique de celle-ci. L’administrateur ne s’était jamais rendu dans les locaux de la société, n’avait jamais exercé une activité pour celle-ci et n’avait notamment jamais pris connaissance de la correspondance bancaire adressée à la société. Malheureusement, l’actionnaire unique s’était rendu coupable d’abus de confiance par le biais de la société anonyme, notamment grâce au pouvoir délégué par notre homme de paille. Dans cette affaire, le Tribunal a retenu que l’administrateur était responsable en ce sens qu’il était tenu de contrôler la situation financière de la société et de surveiller les personnes à qui il a délégué certaines tâches. Il aurait donc dû accomplir sa mission avec diligence (ATF 4A_120/2013, c. 3).

Un autre arrêt fait état de la situation de Monsieur A., qui était vice-président du conseil d’administration d’une société anonyme pendant un certain temps. Monsieur A. n’était toutefois pas en charge de la gestion de la société et ne prenait aucune décision, au contraire de Monsieur D., président du Conseil d’administration. Or, il s’est avéré que cette société anonyme n’avait pas payé les différentes cotisations sociales des employés sur une longue période, ce qui représentait un dommage total de Fr. 110’926.45 pour la Caisse cantonale de compensation. Le Tribunal fédéral a indiqué qu’en sa qualité d’administrateur, Monsieur A. était tenu de s’assurer que les cotisations étaient versées à la Caisse, peu importe s’il était effectivement en charge de cette tâche‑là, ou si Monsieur D. avait volontairement caché cette information. Notre homme de paille a donc fait preuve de négligence. De plus, le Tribunal confirme dans son arrêt que Monsieur A. a violé son devoir de diligence étant donné qu’il a accepté d’être administrateur de cette société anonyme tout en ayant conscience qu’il ne serait qu’un homme de paille (ATF 9C_722/2015).

Au vu de ce qui précède, il est essentiel de tenir compte des tâches à réaliser et de l’éventuelle responsabilité que l’on encourt en qualité d’administrateur d’une société anonyme avant d’accepter un tel mandat!

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